Types Corses – Le-Bandit A.-Bonelli – Dit Bellacoscia, Roi-des-Bandit
éditeur LL – Dos séparé – non circulé
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Voici ce que l’on pouvait lire en Juin 1892 sur le Petit Parisien: La Fin d’un Bandit
Une nouvelle à sensation nous arrive d’Ajaccio : Antoine plus connu sous le nom de Bellacoscia, l’ainé des deux célèbres bandits qui tiennent le maquis depuis plus de quarante ans, s’est constitué prisonnier entre les mains du capitaine de gendarmerie Ordioni. Cet événement inattendu a jeté dans tout le pays une légitime émotion, et une foule énorme attendait à la gare l’arrivée du bandit légendaire.
Bellacoscia, qui était descendu à l’hôtel de France avec le capitaine de gendarmerie, a été ensuite conduit à la prison d’Ajaccio.
Bonelli prétend que ses crimes sont aujourd’hui couverts par la prescription, c’est ce qui l’a poussé à se livrer spontanément à la Justice.
Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que les terribles loups essayent de
rentrer au bercail et que les Bellacoscia veulent justifier le proverbe: quand le diable devient vieux, il se fait ermite.
En 1869, lorsque l’Impératrice se rendit en Corse, ils étaient déjà dans ces sentiments, et soit que le poids de leur vie errante commençât à peser à leurs épaules fatiguées, soit qu’il se Jugeassent assez puissants et assez enrichis par leurs déprédations de toutes sortes, ils avaient résolu de se jeter aux pieds de la souveraine et d’implorer d’elle leur grâce, la perspective de se faire arrêter fut la seule chose qui les retint.
Tout récemment, il y a deux ans, ils tentèrent l’aventure, mais indirectement, se faisant représenter par leurs femmes et leurs filles qui, tout en larmes, vinrent implorer la clémence du Président de la République, lors de son voyage en Corse.
M. Carnot fut certainement touché par cette démonstration, et les pleurs versées par de si beaux yeux auraient certainement amolli des cœurs plus insensibles que le sien, mais il dut se borner à promettre de prendre la requête en considération.
Les jurisconsultes les plus compétents seraient fort embarrassés, pour toucher ex abrupto la question de savoir si les crimes des Bellacoscia.
offrent actuellement matière à prescription. Le dossier de leurs forfaits est en etfet bien considérable et de plus il est difficile de les assimiler à des criminels qui fuient le théâtre de leurs tristes exploits et vont à l’étranger, dans une sorte de retraite expiatoire, attendre que le laps de temps requis par la prescription soit écoulé.
Paul Bonelli, le cadet, né en 1827, commit son premier crime à l’âge de vingt ans, en tuant le maire de Bocognano, à qui il n’avait pu extorquer un faux certificat constatant qu’il avait un frère sous les drapeaux.
Antoine, celui qui vient de se rendre continuait bientôt la série qui devait s’allonger lugubrement : amoureux d’une femme de Scana-vaghiacca, nommée Jeanne Casalta, il tua le mari de celle-ci, Jean-Baptiste Marcanzelli, et enleva la jeune veuve.
A partir de ce moment, les deux Beillacoscia deviennent les rois du maquis et la terreur de toute la contrée, où ils n’ont que des alliés, tant est grande la peur qu’ils inspirent.
Sûrs de l’impunité, prévenus quand la Justice est à leurs trousses, ils envoient ad patres avec désinvolture les gendarmes et les espions, ceux qui les gênent et ceux qui les trahissent.
Ayant élevé, d’ailleurs, leur banditisme à là hauteur d’une institution, consentent à se laisser visiter par les riches étrangers, à condition que ces derniers n’oublient pas le petit cadeau de rigueur que font les touristes quand ils vont voir une curiosité. Pour les frais du culte s’emparant et exploitant, par le droit du plus fort d’immenses forêts communales; Bref, de vrais potentats ne dédaignant même pas de s’occuper de politique et de faire recommander par des tiers leurs candidats aux élections.
Tout cela est très fort et très joli et prouve qu’en Corse le brigandage et le banditisme mènent encore à tout; mais ces excellents Bellacoscia n’ont jamais en fait cessé d’exercer leur terrible industrie; Ils n’ont jamais quitté le pays où ils ont semé les cadavres, bravant les lois et la société, ils ne se sont jamais fait oublier, et ils veulent aujourd’hui se faire pardonner.
Il serait curieux et un peu inquiétant pour les honnêtes gens de voir de pareils bandits, sous prétexte du bénéfice de la prescription, rentrer dans le giron de cette société qu’ils ont mise en coupe réglée et jouir en paix de leurs biens mal acquis, fruit de quarante années de pillage et d’assassinats.